Des cartes pour comprendre le monde

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Commençons par visionner l'extrait de l'émission Ce soir où jamais où les géographes Michel Foucher et Sylvie Brunel nous expliquent que les cartes ne sont pas des représentations fidèles de la réalité mais qu'elles résultent de choix particuliers et orientés.




Introduction

Un numéro de l'émission Ce soir au jamais a traité de la question suivante « Toutes les cartes du monde sont-elles fausses ? ». Présents sur le plateau, les géographes Sylvie Brunel et Michel Foucher y montrent qu'il n'y a pas de fausse ou de vraie carte. Toutes les cartes déforment la réalité du globe terrestre car il est impossible de représenter à plat une sphère. Le choix d'une projection ou d'un centrage dépend donc d'autres intérêts, qui peuvent être géopolitiques, géostratégiques, géoculturels, etc.

 

La diversité des acteurs, la pluralité de leurs motivations et stratégies d'actions et la multiplicité des relations qu'ils entretiennent entre eux rendent notre monde complexe.

  • Le monde est complexe parce qu'il n'existe pas de logique simple permettant de l'appréhender. Selon le point de vue adopté, on met en avant soit les fragmentations, fractures, divisions, différenciations et conflits, soit les intégrations, convergences, uniformisations, alliances et paix.
  • Pour appréhender cette complexité, il est nécessaire de l'aborder sous plusieurs angles. C'est le croisement de ces différents points de vue qui permet de mieux l'appréhender. Plusieurs grilles de lecture peuvent être mobilisées.
    • une grille géopolitique
    • une grille géoéconomique
    • une grille géoculturelle
    • une grille géoenvironnementale
  • Les cartes peuvent être définies comme des représentations graphiques, en réduction, de la surface de la Terre ou d'une partie de cette surface. Elles sont l'outil par excellence du géographe. Elles peuvent nous aider à constituer ces grilles de lecture. Mais à condition de savoir les manier et les décrypter car, loin d'être une représentation neutre du monde, toute carte est le résultat de choix qui induisent inévitablement une vision particulière du monde, plus ou moins objective et plus ou moins complète.

Pourquoi est-il nécessaire de croiser les grilles de lecture des cartes pour comprendre la complexité du monde actuel ?

 

Nous nous attacherons d'abord à définir quelques outils permettant de comprendre la conception cartographique et les enjeux mêmes de cette dernière. Dans un second temps, nous présenterons les grilles de lecture essentielles pour appréhender notre monde complexe.


I- Faire une carte, c'est faire des choix

 

A- Choisir une échelle

  • La définition d'une échelle est double. Il faut différencier l'échelle numérique de l'échelle géographique
    • échelle numérique : rapport entre les distances réelles d'un espaces et celles de la carte (ex : une carte 1/25 000e)
    • échelle géographique : échelon d'analyse spatiale d'un phénomène par le géographe (ex : une carte à l'échelle locale, régionale, mondiale, etc)
  • Un même phénomène géographique peut être étudié à des échelles différentes : on parle alors d'une étude multiscalaire. Le choix d'une échelle plutôt qu'une autre n'est pas révélateur des mêmes enseignements. L'analyse multiscalaire est nécessaire car les échelles s'encastrent les unes dans les autres. Comme pour des poupées russes, un même phénomène géographique peut avoir des dimensions différentes : on dit qu'il y a emboîtement d'échelles. Les processus visibles à un échelon sont englobés dans ceux de l'échelon immédiatement supérieur et englobent ceux de l'échelon immédiatement inférieur. Pourtant, une carte ne peut se construire qu'à une seule échelle. Choisir une échelle, c'est donc privilégier une dimension particulière d'un phénomène plutôt qu'une autre.
Une illustration de l'emboîtement des échelles
Une illustration de l'emboîtement des échelles
  • Par exemple, on peut étudier le niveau de développement atteint par les Chinois à partir de l'indicateur de l'espérance de vie. Si on choisit d'étudier ce phénomène à l'échelle mondiale, on constate que la Chine à une espérance de vie moyenne, comprise entre 67 et 74 ans, correspondant à des valeurs d'un pays émergent. Mais si on change d'échelle, le tableau n'est plus le même : une carte à l'échelle nationale montre des écarts très importants entre la Chine littorale (> 75 ans) et la Chine de l'Ouest (< 70 ans), et plus encore entre la Chine des très grandes métropoles (> 80 ans) et la Chine des campagnes. On voit donc que le changement d'échelle offre une vision très différente du niveau de développement de la Chine : à l'échelle mondiale, la Chine apparaît comme un pays émergent. À l'échelle nationale, elle apparaît comme un pays très inégalitaire avec des standards de pays du Nord pour certains territoires et de pays en développement pour d'autres.
L'espérance de vie à l'échelle mondiale.
L'espérance de vie à l'échelle mondiale.
L'espérance de vie à l'échelle nationale
L'espérance de vie à l'échelle nationale

POUR L'ANALYSE CRITIQUE D'UNE CARTE

Analyse : signaler l'échelle concernée

« Cette carte représenter [le phénomène suivant] à l'échelle [...] »


Limites : proposer une autre échelle

« La carte est ici construite à l'échelle [...] En complétant avec une autre carte à l'échelle […], une analyse multiscalaire aurait pu être menée. Elle aurait permis de mettre en évidence un autre aspect du phénomène étudié du fait de l'emboîtement des échelles : [...] »


B- Choisir une projection

 

  • En géographie, une projection est un procédé imaginé pour représenter à plat la Terre qui est une sphère. Elle porte souvent le nom de son créateur. Aucune n'est absolument exacte car il n'est pas possible de cartographier la Terre sans la déformer. La surface d'un globe ne peut être aplanie sans déformation. Il faut donc trouver des accommodements de représentation graphique.
    • L'image ci-dessous superpose deux projections différentes : la projection de Mercator (en jaune) et la projection de Mollweide. Aucune n'est plus fausse que l'autre, aucune n'est plus exacte que l'autre. Il s'agit simplement de deux modes de représentations du monde différents.
Deux projections du globe terrestre superposées : la projection de Mercator (en orange) et la projection de Mollweide (en bleu). On remarquera les différences de représentations au niveau des hautes latitudes de l'hémisphère Nord.
Deux projections du globe terrestre superposées : la projection de Mercator (en orange) et la projection de Mollweide (en bleu). On remarquera les différences de représentations au niveau des hautes latitudes de l'hémisphère Nord.
Cette animation présente le processus de la projection Buckminster-Fuller permettant de passer du globe terrestre à un polyèdre, puis à un planisphère.
Cette animation présente le processus de la projection Buckminster-Fuller permettant de passer du globe terrestre à un polyèdre, puis à un planisphère.

  • Le choix d'une projection dépend donc surtout de ce que l'on veut représenter.
  • Parmi les 200 projections qui existent, en voici sept souvent utilisées :

POUR L'ANALYSE CRITIQUE D'UNE CARTE

Analyse : signaler la projection utilisée

" Cette carte utilise la projection de [...] car c'est la plus adaptée pour montrer [tel phénomène géographique]"

Limites : montrer les inconvénients ou les biais de cette projection

« Le choix de cette projection a des inconvénients : [éclatement des distances entre pays du Sud, routes maritimes traversant les terres, désorientation du lecteur, distances surestimées, etc;].

« Le choix de cette projection n'est pas anodin car il met en valeur [tels territoires] au détriment de [tels territoires]. Il induit une vision biaisée du monde qui marginalise [tels territoires] »

 

C- Choisir un centrage

  • Le centrage se définit comme un choix cartographique privilégiant un espace placé au centre de la carte.
  • Il existe une infinité de centrages cartographiques. En voici quatre possibles et courants :
    • le planisphère européo-centré
    • le planisphère américano-centré
    • le planisphère pacifico-centré ou sino-centré
    • le planisphère centré sur le pôle nord
Carte européo-centrée
Carte européo-centrée
Carte sino-centrée (ou pacifico-centrée, ou centrée sur le Japon)
Carte sino-centrée (ou pacifico-centrée, ou centrée sur le Japon)
Carte américano-centrée
Carte américano-centrée
Carte centrée sur le pôle Nord
Carte centrée sur le pôle Nord

  • Tout planisphère met en valeur son centre. Il induit une représentation mentale avec de la centralité et de la marginalité implicites. Le choix du centrage est donc crucial en fonction du phénomène représenté et de la signification que l'on veut donner à la carte. Un centrage peut avoir trois finalités :
    • une finalité pratique : on choisit le centrage qui déconcerte le moins le lecteur de la carte. En France, il s'agit par exemple du planisphère européo-centré
    • une finalité scientifique : on choisit le centrage qui rend le mieux compte du lieu d'intensité maximale d'un phénomène. Par exemple, si l'on veut représenter le phénomène de la puissance américaine dans le monde, on choisira un planisphère américano-centré car c'est aux Etats-Unis évidemment que se concentre la puissance américaine et de là qu'elle rayonne.
    • une finalité politique : on choisit le centrage qui évite la marginalisation symbolique d'un territoire. Par exemple, l'australien Stuart McArthur réalise la fameuse carte « Australia upside down » car il était lassé que sa patrie soit toujours reléguée « en bas à droite ». De même, quand le magazine américain National Geographic a commencé à publier dans les années 1950-1970 des cartes américano-centrées qui, de fait, coupaient l'URSS en deux, les Soviétiques ont considéré ce choix comme un acte cartographique de guerre froide !
Carte centrée sur l'Australie dite "Upside down"
Carte centrée sur l'Australie dite "Upside down"

POUR L'ANALYSE CRITIQUE D'UNE CARTE

Analyse : signaler le centrage utilisé

« Cette carte est centrée sur [tel territoire]. Ce centrage permet de mettre en évidence [tel phénomène] »

Limites : montrer les insuffisance ou les biais de ce centrage

« Une carte centrée sur [tel territoire] aurait mieux mis évidence la centralité de ce territoire sur [tel phénomène]

« Le choix de ce centrage répond aussi à une finalité politique : il évite la marginalisation implicite et mentale de [tel territoire]. Il le remet au centre du jeu [géopolitique / géoéconomique/ géoculturel/ géoenvironnemental/ etc] mondial. »

 

D- Choisir une métrique


  • La métrique est définie comme « le mode de mesure et de traitement de la distance ».
  • La très grande majorité des cartes utilise la même métrique, dite euclidienne, où un centimètre sur la carte correspond à un nombre égal de kilomètres dans la réalité quel que soit l'endroit où est pris ce centimètre. Avec une métrique traditionnelle, « un grand pays » est représenté par une grande surface sur la carte.
  • Mais dans certains cas, la métrique peut être différente pour traduire un autre type de grandeur : la grandeur démographique, la grandeur économique, voire culturelle ou religieuse. La surface de chaque territoire n'est plus proportionnelle à leur taille réelle mais à des paramètres comme le PIB ou la population. Les cartes produites sont dites « en anamorphose ».
  • Il existe plusieurs types de cartes en anamorphose :
  • l'anamorphose classique : les territoires ont des contours très déformés mais contigus. L'agencement des territoires est respecté.
Carte en anamorphose présentant la fréquence du VIH par pays. La superficie de chaque pays est proportionnelle au pourcentage de tous les adultes (15-49 ans) infectés par le virus du sida, en 2003. Données : PNUD
Carte en anamorphose présentant la fréquence du VIH par pays. La superficie de chaque pays est proportionnelle au pourcentage de tous les adultes (15-49 ans) infectés par le virus du sida, en 2003. Données : PNUD
  • le cartogramme de Demers ou carroyé : les territoires sont représentés sous forme de carrés contigus ou non. L'agencement des territoires n'est pas forcément respecté
Carte en anamorphose, dite cartogramme de Demers ou cartogramme carroyé
Carte en anamorphose, dite cartogramme de Demers ou cartogramme carroyé
  • le cartogramme de Dorling : les territoires sont représentés sous forme de cercles contigus ou non. L'agencement des territoires n'est pas forcément respecté.


  • Avec les cartes en anamorphose, il n'y a plus d'échelle numérique. Les cartes en anamorphose ont fleuri depuis que des logiciels font le travail instantanément à partir d'un fond de cartes vectorisées et d'une base de données.

POUR L'ANALYSE CRITIQUE D'UNE CARTE

Analyse : signaler la métrique choisie si elle n'est pas traditionnelle

« Cette carte utilise une métrique non-conventionnelle. Il s'agit d'une représentation en anamorphose sous une forme classique/ de cartogramme carroyé/ de cartogramme de Dorling. La surface des pays est proportionnelle à l'intensité du phénomène dans ce pays »

Limites : montrer les insuffisance d'une métrique non traditionnelle

« Une carte centrée sur [tel territoire] aurait mieux mis évidence la centralité de ce territoire sur [tel phénomène]

 

« Le choix de ce centrage répond aussi à une finalité politique : il évite la marginalisation implicite et mentale de [tel territoire]. Il le remet au centre du jeu [géopolitique / géoéconomique/ géoculturel/ géoenvironnemental/ etc] mondial. »

 

E- Choisir des figurés et des couleurs


  • Les cartes sont très souvent accompagnées d'une légende composée de figurés colorisés. Le choix de ces figurés et des couleurs est significatif.
  • Il existe trois types de figurés correspondant à des informations différentes à représenter :
    • des figurés de surface : pour représenter un espace, un territoire
    • des figurés linéaires : pour représenter un axe, une limite, une frontière, une dynamique, un flux
    • des figurés ponctuels : pour représenter un lieu, un pôle
  • Il existe également des conventions de couleurs :
    • jaune : espace agricole, espace cultivé
    • vert : forêt, zone boisée, espace rural
    • marron : espace montagnard
    • gris : espace en difficulté économique
    • violet : espace industriel, portuaire
    • rouge : espace urbanisé
    • blanc : absence de données
  • Les figurés et les couleurs permettent d'établir des hiérarchies dans les phénomènes étudiés :
    • hiérarchie par les figurés : on fait varier la taille des figurés (des flèches de taille différente, des cercles de taille différente)
    • hiérarchie par les couleurs : on utilise un dégradé de couleurs (rouge/orange/jaune par exemple)
  • Analyser une carte, c'est aussi analyser les figurés utilisés, leur taille, leur couleur pour voir si on veut mettre en valeur tel ou tel territoire, ou au contraire minimiser l'importance d'un territoire.
    • Dans l'exemple suivant, deux cartes ont été construites avec les mêmes données. Mais on a choisi des figurés avec des proportions différentes, si bien que la carte de gauche ne met pas autant en évidence le poids écrasant de la Chine et de l'Inde dans la population mondiale. Mais si la lecture de la carte de droite est globalement plus claire, dans le détail il est plus difficile de la lire : comment savoir à quel cercle correspond la Thaïlande ou le Bénin ? 

POUR L'ANALYSE CRITIQUE D'UNE CARTE

Analyse : analyser les figurés ou les couleurs choisies

- pertinence des figurés choisis

- pertinence des couleurs choisies

- complémentarité des différents figurés sur la carte

Limites : montrer les limites des figurés ou couleurs choisies

- lisibilité des figurés ?

- non-pertinence des figurés et des couleurs choisis ?

- absence de figurés importants ?

 

F- Choisir les données

  • Il convient également de prêter attention aux données qui informent la carte. Pour cela, il faut étudier la nature des données et la source de celles-ci.
  • La nature des données est importante. Aucun indicateur n'est entièrement satisfaisant.
    • Par exemple, si on étudie un planisphère présentant le PIB/hab pour mesurer la richesse de chaque pays, il faudra souligner que l'économie informelle, voire illégale, qui crée de la richesse n'est pas prise en compte. Il faudra également souligner que le PIB est une mesure quantitative du développement et qu'il serait indispensable de le compléter par d'autres indicateurs plus humains et qualitatifs : l'IDH (Indice de développement humain), l'IPH (Indice de Pauvre Humaine), l'IPF (Indice de Participation Féminine à la vie économique et politique)


  • Si on étudie la distribution des religions majoritaires dans le monde, on pourra avancer que le choix de ne pas représenter les minorités religieuses modifie de manière importante le tableau général car elles peuvent jouer un grand rôle en dépit de leur moindre taille.
  • La source des données doit également être scrutée. La fiabilité de la source est essentielle : institution internationale ? institution gouvernementale ? revue scientifique ? université ou grande école ? journal engagé ? association engagée ? L'engagement d'un acteur ne signifie pas forcément que les données qu'il a produites ne sont pas fiables. De même, il ne suffit pas d'être « neutre » pour que ses données soient « justes » et exactes. Mais il convient d'être plus attentif lorsque la source est connue pour défendre un point de vue ou agir pour une cause particulière.
    • Par exemple, il faut regarder le planisphère du « choc des civilisations » de Samuel Huntington avec précaution car on sait les polémiques scientifiques et politiques qu'il provoque. Si Samuel Huntington est bien professeur de sciences politiques à Harvard, il n'empêche que les données qu'il propose sont hautement contestables. D'autres scientifiques comme Edward Saïd ou Pascal Boniface remettent en cause la validité de son planisphère. Par ailleurs, on sait que la thèse du « choc des civilisations » constitue une matrice essentielle des élites politiques et de l'armée états-unienne pour justifier des ingérences militaires dans le monde, parfois en dehors du droit international (ex : guerre d'Irak de 2003)

POUR L'ANALYSE CRITIQUE D'UNE CARTE

Analyse : analyser les données sélectionnées

« Les données ont été produites par [nom de l'auteur, du magazine, etc] en [2014]. Leur fiabilité n'est donc pas contestable a priori ».

« Les données choisies mettent en évidence [tel indicateur] pour mesurer [tel phénomène] ».

Limites : montrer les limites des données choisies

« Les données choisies mettent en évidence [tel indicateur] pour mesurer [tel phénomène]. Or pour saisir un tableau complet de ce dernier, il faudrait compléter avec d'autres indicateurs comme [...] »

« Les données datent de [2007], ce qui autorise à rester prudent sur une éventuelle évolution de la situation depuis »

« L'auteur de ces données est connu pour son engagement. Si engagement ne signifie pas forcément que les données ne sont pas fiables, il convient de rester prudent »

 

G- Choisir un seuil de discrétisation

  • Si la nature et la source des données sont importantes, leur traitement l'est tout autant. Les données peuvent être classées : on parle de discrétisation. Pour discrétiser, il faut choisir un seuil, c'est-à-dire une valeur limite pour passer d'une classe à une autre.
  • En fonction du seuil choisi, la carte obtenue ne sera pas la même et ses enseignements non plus.
    • Dans l'exemple suivant, les cartes présentent le PIB/hab en Afrique en 2004. Trois méthodes de discrétisation différentes ont été choisies. Elles révèlent des tableaux de la richesse en Afrique différents. La 1ere méthode est dite « en isoamplitude » : l'amplitude totale est divisée en 4 classes d'ampleur égale (ici, 3765$). La 2e méthode est dite « en équipopulation » : chaque classe regroupe le même effectif (ici, le même nombre de pays). La 3e méthode est dite « manuelle » : les seuils sont établis de manière subjective en fonction des objectifs de la carte. Avec ces trois méthodes, l'Afrique n'a pas le même visage. La 1ere carte présente une Afrique très majoritairement pauvre (la carte est quasiment toute beige) où seuls quelques pays de la pointe Sud et du littoral Nord émergent. La carte est très différente. Les contrastes paraissent plus importants (le marron foncé est utilisé contrairement à la 1ere carte) entre d'un côté les pays pauvres du Sahara, d'Afrique centrale et du littoral Est et de l'autre, les pays de l'Atlantique, de la Méditerranée et de la pointe Sud. La 3e carte présente un constat plus nuancé, compromis entre la 1ere et la 2e carte. 
Discrétisation en isoamplitude
Discrétisation en isoamplitude
Discrétisation en équipopulation
Discrétisation en équipopulation

Discrétisation "manuelle"
Discrétisation "manuelle"

POUR L'ANALYSE CRITIQUE D'UNE CARTE

Analyse : analyser les seuils de discrétisation

« Les données ont été discrétisées, c'est-à-dire triées en classes. Il s'agit d'une discrétisation [en isoamplitude/en équipopulation/manuelle par seuils observés] ».

Limites : montrer les limites des seuils choisis

« Tout choix de seuil oriente le résultat final de la carte. Une autre discrétisation aurait produit un résultat différent qui aurait montré [...] »

 

H- Choisir un objectif

  • Une carte n'est pas un document objectif, mais témoigne d'une interprétation des logiques spatiales, mise en scène par son auteur. Il faut avoir conscience comme la décrit Michel Foucher dans la Bataille des cartes qu'elle n'est que « la visualisation graphique, intentionnelle et sélective, d'une corrélation supposée entre des faits et un espace ». A tout le moins, elle peut tendre vers l'objectivité : les cartes des géographes qui adoptent une démarche scientifique (citer ses sources, éclairer ses intentionnalités, expliquer sa démarche).
  • Pourquoi ne peut-on pas atteindre cette objectivité ? Parce que la carte est deux fois l'objet d'une interprétation :
    • interprétation de l'auteur : comment la carte a-t-elle été conçue et produite ?
    • interprétation de l'observateur : comment la carte est-elle reçue, lue ?
  • On doit donc, lorsqu'on lit une carte, se demander :
    • qui est l'auteur de la carte ? Cherche-t-il l'objectivité scientifique ou faire passer un message politique ? Qui est l'auteur ? Est-il connu pour défendre un courant de pensée, une idéologie particulière ?
    • est-ce que je suis capable d'interpréter cette carte ? Mon bagage intellectuel me permet-il de déceler ce qu'a voulu dire l'auteur ? Mon vécu ne contraint-il pas mon regard ?
  • Cinq objectifs de la carte peuvent être discernés :
    • Informer : La carte peut servir à donner une information géographique scientifique. Elle sert alors à transmettre des informations relatives à nos espaces de vie, aux territoires qui nous entourent, à notre environnement, et ce à différentes échelles. Elle peut être :
      • un outil de réflexion pour le géographe
      • l'aboutissement d'une recherche d'un géographe.

A droite, une carte extraite de Géoportail, le site Internet de l'IGN (Institut national géographique). La carte de droite est centrée sur le lycée Christophe Colomb.


  • Voyager : Laisser vagabonder son imaginaire à la vue de globes ou de mappemondes. Les cartes invitent souvent à la réflexion, scientifique, rigoureuse, rationnelle … sèche. Mais elles sont aussi des invitations au voyages :
    • soit parce qu'elles permettent lors de voyages réels de se repérer dans l'espace et de choisir sa route
    • soit parce qu'elles invitent au rêve, au vagabondage imaginaire, à penser « à sauts et à gambades »

Nicolas Bouvier (1929-1998) : écrivain voyageur suisse qui sera poussé à voyager toute sa vie hypnotisé pendant son enfance par les atlas de géographie de la bibliothèque familiale. Dans l'Usage du monde, il écrit :


« C’est la contemplation silencieuse des atlas, à plat ventre sur le tapis, entre dix et treize ans, qui donne ainsi l’envie de tout planter là. Songez à des régions comme le Banat, la Caspienne, le Cachemire, aux musiques qui y résonnent, aux regards qu’on y croise, aux idées qui vous y attendent... Lorsque le désir résiste aux premières atteintes du bon sens, on lui cherche des raisons. Et on en trouve qui ne valent rien. La vérité, c’est qu’on ne sait comment nommer ce qui vous pousse. Quelque chose en vous grandit et détache les amarres, jusqu’au jour où, pas trop sûr de soi, on s’en va pour de bon. Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu’il se suffit à lui-même »



Philippe Rekacewicz, géographe, cartographe et journaliste au Monde Diplomatique jusqu'en 2014. Il s'intéresse aux liens entre la géographie, la politique et l'art. Ses cartes sont parfois des œuvres d'art. Lui aussi a découvert le goût du voyage dans les cartes. Sur son blog Visions cartographiques, il écrit :


« Il y a plus de trente-cinq ans, j’avais douze ans, et la consultation intensive des encyclopédies et des atlas, à plat ventre sur la moquette, a sans doute été pour quelque chose dans ma vocation de géographe. J’avais ce rêve fou à l’époque, déjà, de tout plaquer, et, avec mon petit matériel, mes meubles, mes petites voitures et mes crayons de couleurs - le tout bien calé dans un gros camion - de partir m’installer loin de la société bruyante dans les forêts scandinaves. »



  • Défendre ses idées : La carte peut aussi servir à défendre des idées, une idéologie, une thèse, à faire passer un message politique. Elle peut parfois aller plus loin et vouloir pousser à l'action. La carte est alors autant un vecteur d'information qu'un catalyseur politique. Le visuel donne toujours l'illusion de l'objectivité et donc permet de donner à la carte une assurance de vérité, de sérieux, de neutralité.

Les zadistes de Notre-Dame-des-Landes, opposés à la construction du nouvel aéroport nantais, occupent la zone et empêchent le démarrage du chantier depuis plusieurs années.

Ils ont réalisé une carte à destination des nouveaux arrivants pour qu'ils puissent se repérer sur la zone. 

La légende est significative de la lutte menée : les figurés choisis pour représenter les forces de l'ordre (tête de mort, masque à gaz) dénotent la mort et rappellent les combats rudes qui ont eu lieu en 2014. L'humour introduit ("Piste à construire, croient-ils", "Non expulsable, pour l'instant") montre l'une des autres facettes de la lutte menée. 


 


  • Faire la guerre : Michel Foucher a montré qu'il existait une « bataille des cartes », c'est-à-dire un affrontement plus ou moins conscient entre des auteurs de cartes en temps de guerre pour défendre un camp.
Il s'agit d'une carte satirique de l'Allemand Walter Trier dessinée en 1914. Elle présente un point de vue résolument allemand.
Il s'agit d'une carte satirique de l'Allemand Walter Trier dessinée en 1914. Elle présente un point de vue résolument allemand.
  • Aider l'action publique : Les cartes peuvent aider à l'action publique, soit dans une démarche préventive, soit dans une démarche prospective.
    • Dans une démarche préventive, elles aident les décideurs à prendre des mesures de prévention des risques : risques industriels, risques d'inondation, etc.
    • Dans une démarche prospective, elles aident les décideurs à penser l'aménagement des territoires. Planification. On peut construire des cartes qui ne représentent pas le réel du présent mais le futur tel qu'on se l'image à présent.

POUR L'ANALYSE CRITIQUE D'UNE CARTE

Analyse : trouver le ou les objectifs de la carte

« Cette carte n'est pas un simple support d'informations objectives. Elle vise également un autre objectif qui révèle les intentions profondes de son auteur. Cette carte cherche à [...] ».

Limites : montrer les insuffisances ou les biais d'une carte trop orientée politiquement ou idéologiquement

« Le prisme politique de l'auteur lui a fait oublier [in]volontairement des informations qui déforment la réalité »

 

Conclusion partielle

  • La carte n'est pas un document neutre. Elle reflète les REPRÉSENTATIONS de l'auteur, plus ou moins subjectives.
  • Les INTENTIONS de l'auteur d'une carte oscillent entre de simples CHOIX scientifiques ou pédagogiques (projection, échelles, discrétisation, etc) jusqu'à des SÉLECTIONS politiques.
  • L'élève comme le citoyen doit exercer son REGARD CRITIQUE sur les cartes. En maîtriser le décryptage et la technique de production facilite ce travail.

Pour compléter, vous pouvez regarder ce reportage de l'agence de reporters Spicee. Il montre Thomas van Linge, jeune hollandais de 19 ans, devenu un cartographe spécialiste du conflit syrienà l'aide de Twitter. Grâce à des dizaines d'informateurs sur place contactés via le réseau social, il crée des cartes, quasiment en temps réel, de l'avancée des armées. Son action est aussi un message militant puisqu'il soutient l'armée rebelle en Syrie. 


II- Croiser les grilles de lecture pour comprendre la complexité du monde

 

A- Une grille de lecture géopolitique : un monde dominé, fragmenté et conflictuel

Manuel
Manuel

POUR L'ANALYSE CRITIQUE DE CETTE CARTE

Analyse :

 

 

Ce planisphère représente l'organisation géopolitique du monde actuel.

 

Il propose une typologie des puissances, une recension des lieux de déstabilisation majeure du monde et une localisation des acteurs de la puissance nucléaire.

 

La carte établit une typologie des Etats en fonction de l'ancienneté de leur puissance.

- Les « puissances traditionnelles » regroupent les « Etats-Unis et les pays de l'OTAN » (la plupart des pays européens + la Turquie), les « alliés des Etats-Unis (Japon, Australie, Nouvelle-Zélande), la « Russie et l'OCS ».

- Selon la carte, les « nouvelles puissances » regroupent la Chine, l'Inde, l'Afrique du Sud et le Brésil, soit quatre pays des BRICS.

La projection de Buckminster-Fuller permet de montrer la proximité entre les grandes puissances géopolitiques : Etats-Unis, Russie, Chine, Europe de l'Ouest.

 

La carte insiste sur la composante hard de la puissance (hard power) à travers la représentation d'organisations macro-régionales militaires et politiques. L'OTAN (Organisation du Traité de l'Atlantique Nord), dominé par les Etats-Unis, regroupe le Canada, l'essentiel des pays européens et la Turquie. L'OCS (Organisation de Coopération de Shanghai) créée en 2001 regroupe la Chine, la Russie, les anciennes républiques soviétiques d'Asie centrale. L'Inde et le Pakistan y entreront en 2016. Il s'agit clairement pour chacune de ces organisations de défendre à la fois un leadership militaire mais également de maintenir un ordre politique et économique le plus favorable possible à leurs membres. L'OCS a ainsi pour but de concurrencer l'OTAN, de créer une nouvelle organisation du monde « plus juste et démocratique » et combattre « l'impérialisme » américain. Chacune de ces organisations est dotée de l'arme nucléaire : 3 pays pour l'OTAN, 4 pour l'OCS lorsque le Pakistan et l'Inde l'auront intégrée.

 

Elle montre les enjeux des conflictualités majeures qui émaillent le monde. Les « zones de guerre » et de « tensions intérieures » sont regroupés dans l'arc de crises qui s'étend de l'Afrique subsaharienne à l'Asie centrale. D'autres zones conflictuelles secondaires sont indiquées : l'Asie de l'Est avec le conflit latent entre les deux Corée et les tensions sino-japonaises ; la frontière américano-mexicaine avec une émigration illégale violemment refoulée ; la Colombie gangrenée par la production de la drogue. Seul le continent européen semble épargné par les conflits selon la carte.

 

La superposition entre les routes maritimes mondiales et les zones de piraterie indiquent qu'il s'agit d'un enjeu majeure de sécurité économique. La piraterie est concentrée en Asie du Sud-Est et près des détroits Nord-Ouest de l'Océan Indien (détroits d'Ormuz et de Bab-el-Mandeb).

 

Limites :

 

 

- La carte a choisi d'insister sur l'opposition entre deux ensembles de puissances supraétatiques qui semblent rejouer la guerre froide. D'un côté en bleu, l'OTAN dominé par les Etats-Unis, de l'autre en vert l'OCS qui serait dominé par la Russie. Pourtant, il n'est pas sûr que la Russie soit le leader de l'OCS. La Chine y occupe une place tout aussi importante et l'entrée en 2016 de l'Inde redistribuera les cartes. La carte a donc l'inconvénient de plaquer le schéma « guerre froide » sur le monde actuel alors même que cette logique a disparu.

 

- La typologie établie est critiquable. Russie ne peut être classée comme « puissance traditionnelle » au même titre que les Etats-Unis. Il s'agit d'une puissance « ré-émergente » après le déclin des années 1990 où les Etats-Unis étaient une superpuissance incontestée. La typologie de Michel Foucher entre « puissances établies » (Etats-Unis, France, Royaume-Uni, Allemagne) et « puissances ascendantes » (BRICS et pays émergents secondaires comme le Mexique ou la Turquie) seraient sûrement plus appropriée.

 

- La projection choisie de Buckminster-Fuller a pour inconvénient de marginaliser de manière implicite des puissances émergentes comme l'Afrique du Sud ou le Brésil alors même que les relations entre ces membres des BRICS croissent et qu'une institution financière concurrente du FMI a été créée en 2014.

 

Le monde actuel doit être décrit comme un monde multipolaire, c'est-à-dire où la puissance est partagée entre plusieurs pôles. C'est pourquoi on qualifie notre temps « d'ère de la puissance relative ». La puissance mondiale se partage aujourd'hui entre :

  • Des puissances établies : les puissances établies (les Etats-Unis, l'Europe dont particulièrement la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne, le Japon) exercent une influence majeure et dominent le monde. Mais elles sont désormais concurrencées. Parmi celles-ci ils faut distinguer :
    • une superpuissance (Etats-Unis) : la puissance des Etats-Unis domine toujours le monde, mais elle s'effrite. Après l'effondrement du monde bipolaire de la Guerre froide (Etats-Unis/URSS) au début des années 1990, le monde est dominé par les Etats-Unis (qui s'érige en superpuissance) et ses alliés (Europe de l'Ouest, Japon, Australie). Depuis les années 2000, le monde se mue en monde multipolaire avec l'émergence de nouvelles puissances
    • des puissances majeures (Royaume-Uni, Japon, France, Allemagne)
  • Des puissances ascendantes : de nouvelles ou anciennes puissances sont en pleine ascension. Parmi celles-ci ils faut distinguer :
    • des puissances émergentes (Brésil, Inde, Chine, Afrique du Sud, Mexique, Arabie Saoudite, Argentine) : Parmi ces puissances émergentes, on peut distinguer :
      • des puissances émergentes majeures, quasi-émergées (Brésil, Inde, Chine)
      • des puissances émergentes secondaires, encore fragiles (Afrique du Sud, Mexique, Arabie Saoudite, Argentine)
      • une puissances ré-émergente (Russie) : après avoir été une très grande puissance sous la forme de l'URSS, la puissance russe a « surnagé » (Hubert Védrine). Elle trouve aujourd'hui une nouvelle ascension.

Les conflits armés dans le monde se concentrent dans une grand région, appelée « arc de crise ». Il couvre l'Afrique subsaharienne et s'étend jusqu'en Asie centrale en passant sur le Proche et le Moyen Orient. On remarque qu'il s'agit avant tout de PMA ou de pays en développement. 80 % des PMA connaissent ou ont connu un conflit depuis 1990.

 

La gouvernance mondiale est difficile à établir. L'émergence de nouvelles puissances tend à reconsidérer la question de la distribution de la puissance mondiale. L'essentiel des institutions de gouvernance mondiale (ONU, FMI, OMC, Cour pénale internationale, Tribunal international du droit de la mer) sont installées dans les puissances établies. De même sur le plan économique, ce sont ces dernières qui composaient le G8. Enfin, l'OTAN est le bras armé de ces puissances et intervient militairement dans le monde entier.

Mais les puissances émergentes réclament une reconnaissance de leur rôle dans la gestion du monde. La création du G20 montre cette évolution. De même la banque internationale des BRICS a été créée en 2014 pour concurrence le FMI. L'OCS (Organisation de Coopération de Shanghai) est une organisation similaire à l'OTAN regroupant des puissances ascendantes (Chine, Russie, Inde et Pakistan en 2016 pour les principales).

 

B- Une grille de lecture géoéconomique : un monde inégalitaire, connecté et polycentrique

Manuel Hachette Géo 2012 T L/ES p.40
Manuel Hachette Géo 2012 T L/ES p.40

POUR L'ANALYSE CRITIQUE DE CETTE CARTE

Analyse :

 

Ce planisphère représente l'organisation géoéconomique du monde actuel.

 

Il propose un classement des pays selon la richesse produite (PIB en milliards de dollars) ou selon le niveau de développement (IDH). Il trace la limite traditionnelle entre le Nord et le Sud.

 

La carte établit un classement de la richesse des pays à partir de l'indicateur du PIB (en milliards de dollars).

- le PIB est le produit intérieur brut. Il représente valeur totale de tous les biens et services produits dans un pays donné au cours d’une année donnée

- le principe de l'anamorphose est utilisé pour rendre mieux visible les écarts de richesse. Il utilise donc une métrique non traditionnelle. Il s'agit ici plus précisément d'un cartogramme de Dorling. Plus le PIB est important, plus le pays est représenté par un cercle important. Parfois lorsqu'il y a de la place, le chiffre du PIB est indiqué.

- cet outil permet de bien montrer les écarts de richesses entre :

* les pays producteurs des plus grandes richesses que sont les Etats-Unis largement en tête, puis la Chine. Arrivent derrière le Japon, l'Australie et les pays d'Europe occidentale ainsi que l'Inde et le Brésil. Ce sont en fait les pays de la Triade (à laquelle on associe l'Australie) et quelques pays émergents

* les pays les plus pauvres : pays d'Afrique subsaharienne, pays du Sud-Est, pays d'Europe occidentale, pays d'Amérique centrale

La carte établit également un classement du niveau de développement des pays à partir de l'indicateur de l'IDH.

- l'IDH est un indice statistique composite, créé par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) en 1990 pour évaluer le niveau de développement humain des pays du monde. L'IDH se fonde sur trois critères : le RNB par habitant, l'espérance de vie à la naissance et le niveau d'éducation (depuis 2011. Avant 2011, il prenait en compte le PIB par habitant).

- il est représenté par un jeu de couleur. Un nuancier de vert (du vert très clair au vert foncé) colorant les cercles de la représentation en anamorphose permet de représenter les écarts de développement. En général les écarts de richesse ou de développement sont représentés par un nuancier allant du jaune au rouge. Le choix de changer cette colorisation traditionnelle n'a sûrement qu'un fondement esthétique.

- cet outil permet de montrer que les IDH les plus élevés (>0,8) se situe essentiellement au Nord. Les pays dont l'IDH est moyen (entre 0,5 et 0,8) ou faible (<0,5) se situent essentiellement au Sud.

 

La limite Nord-Sud définit une séparation entre deux catégories de pays.

- elle est tracée en violet.

- cette séparation n'est pas géographique. Elle ne recoupe l'équateur qui sépare l'hémisphère Nord de l'hémisphère Sud car l'Australie située dans l'hémisphère Sud est du côté du Nord de la limite. Cette séparation est économique et sociale. Au Nord se situeraient les pays riches et développés et au Sud les pays les plus pauvres et en voie de développement.

 

Limites :

 

- la lisibilité peut être rendue difficile par la carte en anamorphose qui peut déconcerter l'observateur non-averti

 

- le choix d'une carte à plus grande échelle révélerait des situations différenciées. En effet, avec des cartes à l'échelle nationale, on verrait par exemple qu'il peut exister des écarts de développement selon les régions des pays. De même avec des cartes à des échelles locales pour les écarts entre les campagnes et les villes par exemple.

 

- la carte insiste sur l'opposition Nord-Sud alors que cette limite peut être remise en cause : choix des couleurs (vert très foncé s'opposant aux autres nuances de vert plus claires), tracé de la limite N/S, discrétisation qui isole les pays de la Triade et les PMA. Or, pourtant, une lecture plus fine permet de nuancer et de porter un autre regard. En effet, il existe plusieurs Suds. Les pays pétroliers ont un IDH comparable à celui des pays de la Triade. Les pays d'Amérique du Sud ont un IDH comparable à celui des pays d'Europe de l'Est, pourtant situés de l'autre côté de la limite N/S.

- la carte ne permet pas bien la comparaison entre la richesse produite et l'IDH. Si richesse et développement vont souvent de pair, ce n'est pas toujours le cas. Par exemple, Cuba est pays dont le PIB est faible mais dont l'IDH est pourtant élevé (proche de 0,8).

Les inégalités de développement persistent, même si la limite Nord-Sud est de moins en moins évidente.

  • Les inégalités Nord/Sud existent :
    • le Nord concentre 70% des richesses mondiales alors qu'il représente 20 % de la pop. mondiale. Les niveaux d'éducation et de santé sont globalement hauts. L'extrême pauvreté y est globalement faible. La population vit surtout dans les villes.
    • le Sud dispose de 30 % des richesses mondiales alors qu'il représente 80 % de la pop. mondiale. Les niveaux d'éducation et de santé sont globalement plus bas qu'au Nord. L'extrême pauvreté y est forte : presque 1 habitant sur deux du Sud vit avec moins de 2$ par jour. La population vit à un peu moins de 50 % dans les villes mais l'exode rural est très important et renforce l'urbanisation.
  • Néanmoins, il existe de forts contrastes au sein de chacune de ces zones. La limite Nord/Sud est de moins en moins pertinente : on dit qu'il y a des « Nords » et des « Suds » :
    • au Nord , il existe un développement inégal entre les pays les plus développés (Amérique du Nord, Europe de l'Ouest, Japon, Corée, Australie) et les moins développés issus de l'ex URSS (Russie, Europe de l'Est). Par exemple, en 2011, l'espérance de vie en Russie est de 69 ans contre 83 au Japon.
    • au Sud, il existe des situations encore plus différenciées entre les pays émergents à forte croissance et puissance ascendante (Brésil, Chine, Afrique du Sud, Inde, Mexique, Argentine), les pays pétroliers à hauts revenus avec un IDH supérieur à ceux du N parfois (Moyen Orient), les PMA (Afrique subsaharienne, Asie du Sud Est) et les autres pays en développement (avec en tête Turquie, Maroc).

 

Le monde actuel est un monde connecté. Les cartes permettent de lire l'explosion des flux de la mondialisation en les représentant par des flèches. Elles montrent l'idée d'un monde fini et limité dont les différentes parties seraient interdépendantes.

 

 

Un monde polycentrique est en effet en construction sous nos yeux.

  • les Etats-Unis connaissent un déclin relatif.
  •  les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) occupent de plus en plus une place centrale dans les circuits économiques mondiaux. Les places boursières situées dans leurs métropoles sont de plus en plus présentes à l'échelle mondiale.

 

C- Une grille de lecture géoculturelle : un monde différencié et uniformisé

POUR L'ANALYSE CRITIQUE DE CETTE CARTE

Analyse :

 

Cette carte est issue du livre Le choc des civilisations de Samuel Huntington, professeur à Harvard, publié en 1996. Elle partage le monde en grandes « civilisations » définies par des critères culturels et religieux.

 

9 civilisations sont ainsi découpées par Huntington :

- la civilisation occidentale

- la civilisation latino-américaine

- la civilisation africaine

- la civilisation islamique

- la civilisation chinoise

- la civilisation hindouiste

- la civilisation slave-orthodoxe

- la civilisation bouddhiste

- la civilisation japonaise

 

La théorie de Huntington est la suivante : après la fin du monde bipolaire de la guerre froide, les conflits du monde n'auront ni des bases idéologiques, ni économiques mais culturelles et religieuses et les acteurs opposés dans ces conflits seront les civilisations. Il annonce un monde de conflits culturels et religieux entre les grandes aires de civilisation.

Sa thèse est une réponse à celle d'un autre chercheur, Francis Fukuyama, qui annonçait la « fin de l'Histoire», c'est-à-dire la fin de l'affrontement Est-Ouest après la chute de l'URSS et la naissance d'un « nouvel ordre international » où tous les pays partageront les mêmes valeurs, celles des Etats-Unis, seule puissance dominante.

 

La difficulté est qu'il est facile de trouver des exemples d’événements appuyant ou contredisant cette thèse. Parfois même l'argument se retourne : au moment où il publie son livre, Huntington explique que la candidature chinoise pour les JO de 2008 ne sera pas retenue car la civilisation suscite un trop fort rejet de la civilisation occidentale à laquelle appartienne la majorité des décideurs. Or on sait que depuis la candidature de Pékin a été retenue face à Paris

 

Limites :

 

- Un découpage simplificateur, voire simpliste : tracer des limites de civilisations sur un planisphère est forcément inexact et peut relever de l'arbitraire. En réalité, les civilisations s'interpénètrent sur leurs marges. La frontière Etats-Unis/Mexique est ainsi une puissante interface culturelle où les échanges sont nombreux et qui a donné naissance à un nouveau territoire culturel qu'on appelle la Mexamérique à cheval sur les « civilisations » occidentale et latino-américaine selon Huntington. On pourrait également cité le cas du Sahara à cheval sur les « civilisations » musulmanes et africaines selon Huntington.

 

- Une théorie invalidée par l'arc de crise : la plupart des conflits dans le monde n'ont pas lieu entre les civilisations mais à l'intérieur des civilisations. En effet l'arc des crises majeures se situe à l'intérieur de la « civilisation musulmane » découpée par Huntington. Par ailleurs, les facteurs géopolitiques dominent toujours (conflit Pakistan-Inde)

 

- Une représentation qui gomme l'uniformisation du monde : la mondialisation économique mais aussi la mondialisation des migrations rend difficile une représentation basée sur des critères culturels. En effet, il existe aujourd'hui une diffusion mondiale d'un mode de vie uniformisé, inspiré du modèle occidental. Par ailleurs, les migrations humaines brasse les populations et les cultures à l'échelle mondiale. La carte de Huntington ne prend pas en compte les grandes diasporas (chinoise, juive, indienne, etc).

 

- Une vision géographique au service de la politique ? : depuis le 11 septembre 2001, les Occidentaux à la suite du président Bush inscrivent leurs décisions dans cette vision du monde en pointant du doigt le monde musulman. Il se serve de cette thèse pour justifier leurs actes. La guerre d'Irak ou l'ouverture des prisons de la prison de Guantanamo sont des conséquences de la thèse du choc des civilisations. Parallèlement les fanatiques islamistes adoptent cette même vision du monde : les Occidentaux (chrétiens et juifs) sont à leurs yeux des incroyants et des infidèles qu'il faudrait supprimer. Ils en ont néanmoins aussi après les chiites qu'ils accusent aussi d'être « infidèles ». D'autres Occidentaux et musulmans nient cette perspective au nom de l'universalisme ou essayent de désamorcer les conflits (Kofi Annan, secrétaire général de l'ONU en 2005, a créé une alliance des civilisations pour combattre ce risque et a tenté d'établir un processus de paix au Proche Orient).

La représentation géoculturelle du monde oscille entre la volonté de montrer les éléments d'uniformisation culturelle ou au contraire la persistance des contrastes culturels.

 

La représentation des éléments d'uniformisation peut se voir à travers différentes pratiques :

  • la diffusion de l'anglais, devenu une langue quasi universelle. Mais certains feront la distinction entre l'anglais classique, celui d'Oxford, et l'anglais simplifié et jargonneux des hommes d'affaires, appelé globish.
  • la diffusion des goûts et des modes. Ainsi les modes vestimentaires « à l'occidentale » se diffusent rapidement. De même l'adoption d'une culture alimentaire industrielle (fast-food, alimentation carnée) est à l'offensive via les grandes multinationales américaines et européennes.
  • les diffusion des pratiques sportives. Le mouvement de l'olympisme montre à quel point le sport peut être un élément d'uniformisation culturelle du monde. De même, le football est un sport qui s'est imposé au monde entier à partir de l'Angleterre.

 

En dépit de cette uniformisation culturelle, de nombreuses différences culturelles peuvent être cartographiées.

  • les grandes aires linguistiques
  • les grandes aires civilisationnelles (un découpage largement critiquable)

D- Une grille de lecture géoenvironnementale : un monde déséquilibré et encore mal régulé

Manuel Hachette Géo 2012 T L/ES, p. 36
Manuel Hachette Géo 2012 T L/ES, p. 36
Manuel Hachette Géo 2012 T L/ES, p. 37
Manuel Hachette Géo 2012 T L/ES, p. 37
Manuel Hachette Géo 2012 T L/ES, p. 36
Manuel Hachette Géo 2012 T L/ES, p. 36

POUR L'ANALYSE CRITIQUE DE CES CARTES

Analyse :

 

Ces deux cartes proposent toutes deux une représentation géoenvironnementale du monde. Pourtant elles ne s'accordent pas sur le tableau à dresser.

 

La 1ère carte est construite à partir d'un indicateur précis : l'empreinte écologique. Il s'agit d'un indicateur très utilisé par les médias. Il mesure les dégradations que subit l'environnement à partir des surfaces exploitées par l'homme. De ce point de vue, les pays les plus vertueux sont donc les plus pauvres et donc souvent ceux dont le développement est le moins avancé. Tous les PMA présentent avec cet indicateur des performances environnementales fortes. A l'inverse, les moins vertueux sont les pays développés ou les pays pétroliers. Ainsi, parmi les 3 moins vertueux, on trouve un pays développé du « Nord » (le Danemark) et deux pays pétroliers (le Qatar et les Emirats arabes unis).

 

La 2e carte présente un tableau quasi-inverse. Elle est construite à partir d'un autre indicateur : l'Indice de Performance Environnementale (EPI). Il s'agit d'un indicateur très utilisé par les chercheurs scientifiques. Il mesure essentiellement les améliorations de la qualité de l'environnement à partir des décisions politiques de protection de l'environnement. Il en résulte le tableau suivant : les pays les plus vertueux sont les pays développés qui prennent aujourd'hui des mesures de protection de l'environnement. Ainsi les sont les deux plus vertueux sont la Suisse et l'Islande. Néanmoins certains pays d'Amérique du Sud obtiennent aussi de bons résultats (Costa Rica, Colombie). A l'inverse, les PMA arrivent en bas du classement.

 

Cette présentation paradoxale de l'état géoenvironnemental du monde est dû au changement d'indicateur. L'empreinte écologique mesure la catastrophe, la déprédation environnementale alors que l'EPI mesure l'amélioration, l'efficacité des politiques. Ainsi, les pays développés sont les plus pollués (et ont donc une empreinte écologique forte) mais sont aussi ceux qui ont les moyens de mettre en place des politique de remédiation environnementale efficace (et ont donc un IPE fort). A l'inverse, les PMA ont un environnement peu dégradé (et donc une empreinte écologique faible) mais n'ont pas aussi les moyen de mettre en place des politiques améliorant la situation (et ont donc un IPE faible).

Limites :

 

- Cette vision du monde n'est pas complète car elle ne prend pas en compte les dimensions économique et sociale du développement. Elle ne saurait donc tenir lieu de classement des pays en fonction de la durabilité de leur développement car les développement durable repose sur trois piliers (économique, social, environnemental).

 

- Un changement d'échelle pourrait aussi montrer des disparités à l'intérieur des Etats ou d'une même région. Par exemple, une carte à l'échelle de la Chine montrerait une opposition entre un littoral Est très pollué concentrant les industries et lea production énergétique et un Ouest moins touché par la pollution et l'exploitation intensive des sols et sous-sols. On trouverait également des disparités fortes entre les métropoles et les campagnes.

 

- Les choix du cartographe sont aussi critiquables. En effet, il présente une vision manichéenne du monde. Le classement binaire (les 3 plus vertueux/ les 3 moins vertueux) ainsi que le choix de deux types de couleurs (bichromie : couleurs chaudes / couleurs froides) ont été choisis pour cela. Cette vision gomme par exemple les performances des pays d'Amérique du Sud.

La dégradation de l'environnement est un phénomène mondial (réchauffement climatique, pollution transportée par les vents ou les eaux et ne connaissant pas les frontières).

 

Mais les cartes essayant de mesurer l'état environnemental du monde sont souvent contradictoires. Ainsi l'indice de l'empreinte écologique mesure les dégradations de l'environnement alors que l'IPE (Indice de Performance Environnemental) mesure surtout l'amélioration et l'efficacité des politiques environnementales. Ces indicateurs ne sont pas tout à fait représentatifs du développement durable car ils ne prennent pas en compte - ou mal - les dimensions économiques, sociales et culturelles du développement durable. Un autre indicateur, plus complet, le PNB vert est en cours d'élaboration.

 

  • Les États émetteurs des plus grandes quantités de gaz à effet de serre (notamment le CO2) sont la Chine, le États-Unis, l'Inde, la Russie ou le Japon. Il s'agit donc de puissances anciennement développées ou (re)émergentes. Ce sont de gros pollueurs car ce sont des géants démographiques. Mais ce critère n'est pas suffisant : il faut aussi avoir une économie développée et une utilisation d'énergies polluantes comme le charbon (ainsi, bien que le Nigeria soit un géant démographique, il ne fait pas partie des gros pollueurs car son développement économique reste encore faible)
  •  Les États les plus fragiles sont les victimes des dégradations environnementales. Ils cumulent les problèmes : raréfaction de l'eau, désertification, déforestation, montée des mers et océans. Cette fragilité fait craindre le risque de migrations possibles de millions de réfugiés climatiques.

En dépit des sommets internationaux pour l'environnement (Kyoto, Rio de Janeiro, Copenhague et Paris), une gouvernance mondiale pour gérer la question environnementale n'est toujours pas en place. La COP 21 en 2015 a vu la signature par la plupart des pays du monde d'un accord. Mais il ne s'agit que d'un accord de principe qui n'oblige pas les pays à s'engager sur des objectifs chiffrés avant 2023 et qui ne prévoient pas de sanctions en cas de débordement.